comme une truite qui doute …

Titre facile repris d’un bouquin sur les errances d’une enseignante (comme une truie qui doute) pour faire un état d’un méchant spleen qui m’envahit.

Je repense à une conversation avec un très bon copain violoniste, qui me disait que la troisième année était la pire. La 1ere tu sors des sons horribles de ton instrument mais tu te dis que c’est normal car tu débutes. La 2ème tu fais toujours saigner les oreilles de tes voisins mais tu te dis que c’est normal car tu n’as commencé que l’année dernière. La 3ème ce qui sort de ton instrument est toujours effroyablement laid et là tu déprimes car ça fait trois ans que tu t’investis à fond et le résultat n’est toujours pas là.

Le parallèle est évident. La première année mes lancers étaient affreux, les noeuds nombreux et hormis quelques chevesnes, seules deux truites sont venues se pendre à mes improbables plumes… La deuxième, j’ai entre aperçu le gigantisme de la technique mouche et pris quelques beaux poissons au milieu de centaines d’heures à ratisser les courants. Au sortir des bredouilles nombreux et largement majoritaires je me disais « c’est pas grave gros, tu viens juste de démarrer ! ».

Et puis il y a cette année, où rien ne va plus … J’ai une super canne, je paye cher de bonnes soies et monte mes bas de ligne moi même pour lancer au mieux. Sur le lot des mouches que je monte, certaines ne démérîtent pas par rapport à celles prises au coin de la gueule de superbes fishs tirés des mêmes rivières que je fréquente.

Le résultat est pourtant décevant au possible. J’en suis presque au même stade que la première année… Je manque énormément de précisions, en lancer amont, ma mouche dépasse rarement d’1 m le bout de ma soie… Je n’y arrive pas, je n’ai pas le mojo, je sais où il faut lancer, mais rien n’y fait, c’est comme si un bouclier invisible recouvrait les secteurs que je convoite pour poser ma mouche.

Je passe des heures au bord de l’eau, conscient des arbitrages que celà suppose. A chaque fois c’est un peu de temps en moins dans mon couple, avec mes amis non pêcheurs ou avec la famille. C’est surtout que je pense pêche en permanence, mes pensées en boucle font défiler des images de rivières, de poissons, des captures improbables. J’ai parfois le vertige en prenant conscience de la place que cette passion occupe dans ma vie, au détriment de pleins d’autres choses.

Au moins, si je prenais du fish, si je ramenais du rêve en image, et que mes sorties généraient un éternel sourire en coin rivé à ma bouche… Mais j’ai de plus en plus de mal à justifier cette passion aux autres, et de plus en plus de difficultés à la justifier à moi même… Bien sûr il y a les compagnons de pêche, de ces amis qui naissent d’une rencontre improbable au bord de l’eau ou de quelques mots échangés sur la toile. D’autres fous, parcourus du même frisson au moment de monter le matériel, de la même lueur lorsque la rivière surgit au coin du chemin, remplis des mêmes espoirs avant chaque partie de pêche.

Et puis ces mois de canicule ont été un véritable enfer, je me sentais déperrir au fur et à mesure de l’agonie de l’Ain. La pluie qui tombe en ce moment me fait l’effet d’une gorgée salutaire, je sens le frais par la fenêtre.

Alors comment faire ? Je ne saurais pas raccrocher les cannes au rateau. Peut être passer quelques temps par d’autres pêches ? J’ai testé le nerf de récentes cannes au lancer, tâter les imitations, écarter les horreurs à double triples pour me concentrer sur le monde des leurres souples. Je rêve également parfois des premiers instants de pêche, de ce bouchon qui frémit avant de sonder l’eau, et me dis qu’une petite partie de pêche au coup dans les premières soirées fraiches de l’été me réconcilierait peut être avec le monde aquatique et que j’aurais un plaisir renouvellé et décuplé à reprendre la loomis et ses consoeurs.

Et puis, j’aurais aimé m’appuyer plus souvent sur une expérience complice, rectifiant mes gestes, me montrant la truite que je ne voies pas, me rendant lisible l’indéchiffrable langage de l’eau. Des fois j’aimerais être plus près de la Corrèze et de celui qui pendant des années a su me parler si bien de cette pêche pour que j’y sombre. Pour profiter avec lui de ce langage presque muet des bords de la rivière et de la musique discrete de la mouche qui dérive…

Alors peut être que c’est le moment de rejoindre un club, d’étaler sa médiocrité au grand jour pour la voir disparaitre grâce aux conseils des autres… Et peut être un jour, être enfin confiant en ses mouches.